On peut le ramener à la maison ?

Une mission pour un traqueur patient

— Tu vas te faire tuer.

— À force de dire ça, tu vas me porter la poisse.

Le vieil homme se raidit et ronchonna dans sa barbe. Impossible de faire entendre raison à sa compagne, elle était trop bornée pour écouter ses conseils. Il avait l'habitude de s'inquiéter, surtout lorsqu'elle décidait de mettre le nez hors du village, mais il savait aussi que ça ne servirait à rien de l'en empêcher plus longtemps.

— Ne te fais pas de souci, je vais demander à un Faucheur expert de m'accompagner. Il veillera sur moi, assura la jeune femme avec un sourire.

L'idée lui était venue alors qu'elle revenait d'une sortie pour trouver de nouveaux cristaux. Sa besace était bien remplie et pesait lourd, elle s'était fait rattraper par la pluie et avait dû se cacher d'un wursilla furieux pendant la moitié du trajet. À son retour au Chaudron, elle avait donc décrété que "ce n'est plus possible" et "il me faut de l'aide".
Mais après avoir refusé que quiconque se mette en danger pour la suivre dans la forêt, il lui avait semblé évident qu'il fallait qu'elle se trouve un compagnon originaire de cette île. Une bête silencieuse et assez docile pour la suivre, mais assez forte pour la transporter ou être chargée de quelques sacs. Autrement dit, un magopus.

Tharion ne possédant pas encore d'élevage de ces bêtes étranges, Rhéa n'avait pas d'autre choix que d'aller en dénicher une dans la nature et de l'apprivoiser elle-même. Mais si la golem n'avait pas son pareil pour trouver des métaux et gemmes précieuses, elle devait reconnaître son manque d'expérience lorsqu'il s'agissait de mettre la main sur une créature vivante.
Une chance que le village compte quelques professionnels de la traque.

C'était donc d'un bon pas qu'elle se rendait à présent au chalet des faucheurs après avoir laissé la garde de sa boutique à son précieux ami. La journée était un peu grise, mais l'activité battait son plein dans le village. Difficile de croire que quelques années auparavant seulement, ce même endroit était une épaisse forêt rouge et inhospitalière. Tout danger n'avait pas disparu, loin de là, mais il était agréable de voir des enfants courir avec insouciance entre les chalets. Ils n'étaient pas si lointains, les souvenirs de visages innocents déformés par la peur et la détresse.

Arrivée au pied du bâtiment réservé aux protecteurs de la ville, Rhéa fut accueillie par une grande dame aux épaules larges et au sourire avenant. Elle formula le souhait de s'entretenir avec un traqueur à propos d'une mission qu'elle souhaitait soumettre au premier volontaire venu. La géante sembla faire un effort de mémoire pour se rappeler qui se trouvait actuellement dans le chalet, puis s'illumina d'un sourire et demanda à la golem de patienter pendant qu'elle allait chercher la personne voulue.
Une voix tonitruante résonna dans le bâtiment, à base de "Ohé, on a besoin de toi" et de "bouge tes fesses".

Le vacarme fit sortir un homme à la mine fatiguée et qui avait entre les mains de quoi écrire. Il salua poliment la jeune femme et lui expliqua qu'aucun traqueur ne se trouvait pour l'instant dans les lieux, mais qu'il pouvait prendre sa demande et l'afficher à l'intérieur. Faute de meilleure option, elle accepta.

MISSION
TRAQUE ACCOMPAGNÉE
Partir à la recherche d'un magopus et le ramener indemne en ville. La traque se fera en compagnie de la commanditaire.
Rémunération à négocier avec la commanditaire.
Pour plus d'informations, demander Rhéa au Chaudron.

Impatiente de savoir qui allait répondre présent pour cette petite mission qu'elle imaginait comme facile pour des experts de l'abattage de monstre, la golem remercia et s'en retourna à sa boutique pour attendre que quelqu'un se manifeste.

EPSILON

...allons donc toucher du bois...

Si vite rentré que déjà il en ressort.

S’il devait citer un avantage qu’amène la profession de chasseur, sans nul doute ferait-il mention de la liberté offerte par ses journées de traque loin du regard pernicieux d’autrui. Le calme bruissement forestier conférait un apaisement dont il déplore aujourd’hui l’accoutumance, et c’est une tentation que seul le devoir semble étouffer. A contre-coeur mais aussi par besoin, l’âme vagabonde se surprend à côtoyer ses semblables. Parfois, il s’en va de s’enquérir de ses divers besoins ou encore de ceux des autres. Tendant une main aidante pour le compte de la communauté, il s’adonne à la tâche non sans grognements désapprobateurs.
Par cette heure, la présence du dit faucheur était requise pour le dépeçage de walyx ; une obligation monotone qui aurait pu se révéler presque agréable si les femmes de cuisines n’étaient si indiscrètes et tonitruantes. Leurs infatigables interjections eurent raison de ses réponses monosyllabiques, au point que lui-même n’en vienne à s’ouvrir quelque peu. Ces bonnes femmes de la quarantaine n’ayant que faire de son visage meurtri, n’y voyant là qu’un homme fatigué et incompris.

Son intention était de passer vivement à ses quartiers, y déposer son matériel de chasse avant de rejoindre le coeur de commérages dont il s’était âprement accoutumé. Mais une fois entré dans le bâtiment, il ne se doutait absolument pas que le destin en eut décidé autrement..

Le morceau de papier ainsi collé au mur retint son attention, et y trouva une bonne opportunité. Arrachant l’attache, il jeta un regard à la grande consoeur qui ne se priva pas de rétorquer combien ses mauvaises manières l’excéda. Ignorant son franc-parler parfois houleux, il quitta rapidement les lieux pour s’en aller rejoindre sa commanditaire.

La boutique était calme, chose assez habituelle à cette heure-ci, et n’eut aucun mal à trouver une jeune femme à la chevelure terne qu’il devinait être Rhéa. De mémoire, il l’avait aperçu quelques fois derrière le comptoir du Chaudron, mais n’avaient jamais conversé au delà de simples bonjours. Soupirant longuement, la réputation de cette femme égalait probablement celle d’une certaine rouquine lorsqu’il s’agissait d’avoir une forte tête. Chassant de sa mémoire ces quelques péripéties passées, il lui adressa directement ses questions.

Un Magopus ? Hmmm. La forêt de Madyas n’est pas très éloignée, mais non sans danger pour autant. Alors dîtes-moi, pourquoi avoir besoin de cette bête de bois ?

Son ton interrogateur se voulut aussi doux qu’il pu, car au fond avoir une tharis respectant le protocole lui changeait bien des vadrouilles que d’autres se permettaient sans laisser de mot. Tournant les talons, l’équipement dont il voulait se délester ne quittera finalement pas son côté.

De toute façon, si je peux remplacer une après-midi à charcuter du gibier en présence de bonnes femmes pinailleuses par une sortie en forêt à chasser du bois sur pattes, je ne vais pas me faire prier.

Ouvrant la porte, il lui fit signe de la suivre.