Des sopiomes, voilà ce qu'il lui fallait. Séléné se trouvait dans sa boutique, listant les plantes qu'elle possédait encore en stock et celles qui lui manquaient. Le dernier sopiome avait été utilisé le matin même dans une potion et ils ne leur en restaient plus aucun. C'était une fleur très demandée de par ses propriétés nutritives, une fois consommée, elle donnait de la force et permettait de se remettre plus rapidement de blessures ou de faiblesses. Généralement, elle n'était pas la seule à se rendre à l'extérieur du village afin d'aller chercher des plantes, mais il fallait bien avouer qu'elle faisait partie des seuls qui ne craignaient pas de s'enfoncer dans la forêt de Madyas. Oh, elle craignait certaines des créatures qui évoluaient dans ces bois et dans les autres lieux de l'île, mais elle était partisane du fait que la peur ne devait avoir aucun contrôle sur ses décisions. Et puis, si elle ne parvenait plus à rapporter assez de plantes, elle mettrait la vie des habitants en danger. Certains comptaient sur elle afin de leur ramener ce dont ils avaient besoin. Se frottant le front, elle déposa son carnet sur l'étagère face à elle et quitta le Belladone. Elle repassa par sa maison afin de prendre sa sacoche et un sac en toile de plus. Elle prit également une liste sur laquelle elle avait noté des noms de plantes que certains habitants lui avaient demandés.

Parcourant cette liste, elle vit deux oxiocas, trois ivuneths, une capiame et une yborne. Ce serait assurément cette dernière qui serait la plus compliquée à obtenir. Elle prit son arc et son carquois avant de se diriger vers le portail du village, là, elle croisa deux faucheurs. Elle les salua et les informa qu'elle se rendait à l'extérieur pour refaire le stock du magasin. Sceptiques, ils mirent quelques instants avant de la laisser passer, après tout, à cause de ce maudit faucheur blond, ils se mettaient à se méfier d'elle. Si ce Joan n'avait pas sans cesse eu pour objectif de la ramener à chaque fois qu'elle quittait le village, jamais elle n'aurait eu à se justifier auprès de personne. Heureusement qu'il n'était pas présent d'ailleurs, jamais il ne l'aurait laissée partir ainsi. Il aurait su qu'elle ne comptait pas s'arrêter aux limites des abords du village, mais bien qu'elle s'enfoncerait bien plus profondément dans l'île. Mais ce que les faucheurs ne savaient pas, ne pouvaient leur causer du tort.

Elle quitta donc le village en début de matinée, laissant derrière elle la sécurité des murs et s'enfonçant dans cette forêt qui s'éveillait. Après quelques minutes de marche, elle tomba sur le petit arbre sur lequel poussait les capiames. Elle en cueillit plusieurs et les déposa délicatement dans l'un de ses tissus avant de ranger ce dernier dans sa sacoche. Elle repartit ensuite en direction de l'ouest, désireuse d'atteindre les Montagnes avant que la journée ne soit trop avancée. Elle ne s'y était pas souvent aventurée au vu de la difficulté qu'elles représentaient. Mais cette fois, elle n'avait pas trop le choix. Anna lui avait promis dix bouts de tissus en échange de cette yborne et elle avait besoin de tissus afin de conserver ses plantes. En chemin, elle récupéra deux ivuneths et les glissa dans son sac en toile. Après trois heures de marche, elle atteignit enfin le bas des montagnes d'Yjal. Observant ces gigantesques masses rocheuses, elle se demanda comment elle allait bien pouvoir procéder afin d'explorer toute cette étendue. Et surtout, comme elle allait s'en sortir dans sa recherche de l'yborne.

Se mordillant la lèvre, elle se passa une main dans les cheveux, jouant avec la lanière de son sac. Devait-elle escalader ou bien tenter de trouver un chemin plus praticable dans un premier temps ? Après tout, cela ne servait à rien de s'épuiser dès le départ. Elle aurait pu utiliser ses pouvoirs, mais elle craignait de se téléporter au hasard dans les montagnes et de se retrouver perdue par la suite. Elle ne tenait vraiment pas à faire la rencontre des créatures qui vivaient dans les grottes. Restant sur sa seconde idée, elle entama alors une marche le long de la frontière entre les montagnes et la forêt, tentant de trouver un chemin lui permettant d'accéder à l'intérieur de cet univers rocheux. Au bout de longues minutes de recherche, elle découvrit enfin une sorte de chemin, moins pentu que les autres et bien moins escarpé également. Alors qu'elle allait s'y enfoncer, elle se figea brusquement. Une drôle de sensation lui parcourait le corps, comme si elle savait quelque chose sans pour autant avoir remarqué quoi que ce soit. Pourtant, elle était persuadée qu'elle n'était pas seule. La rousse mit son arc devant elle et encocha une flèche, attentive au moindre changement aux alentours.

Alors qu'elle était aux aguets, elle vit apparaître un homme, grand, très grand. Tellement grand qu'elle devait lever son visage afin de conserver le sien en visuel. Comment un homme pouvait-il sembler aussi grand ? Il semblait loin d'être commode également. Sa voix grave brisa le silence qui venait de s'abattre sur les lieux, lui demandant qui elle était. Séléné hésita un moment, ne sachant pas réellement comment réagir face à cet homme qui brandissait une main enflammée devant lui. Il ne fallait pas être devin pour en venir à la conclusion qu'il s'agissait d'un salamandre. Se mordillant la lèvre, elle demeura silencieuse, l'observant baisser un peu son bras, voyant qu'elle ne comptait pas l'embrocher d'une de ses flèches. Il lui posa alors une seconde question, plutôt légitime, mais néanmoins, la rousse ne désirait pas révéler le pourquoi de sa présence. Elle ne connaissait pas cet homme, son visage ne lui était même pas familier et elle doutait donc sérieusement qu'il soit un Tharis. Peut-être était-il un Vels ou bien un Vagabond. Il finit pas éteindre les flammes qui brûlaient sur sa main et Séléné baissa légèrement son arc, tout en le maintenant bandé.

— Je suis une Tharis et vous ?

Elle était fort réticente à l'idée de décliner complètement son identité, elle ignorait tout de cet homme et doutait encore de ses intentions pacifiques. Elle observa derrière lui, détaillant la forêt, attentive au moindre mouvement. Peut-être était-il venu seul, ou bien peut-être était-il accompagné. Tomber dans un guet-apens n'était pas dans ses projets immédiats.

— Comme tout le monde, je cherche de quoi survivre.

Elle haussa les épaules et pencha la tête sur le côté, détaillant la stature de l'homme. Elle ne gagnerait assurément pas dans un combat singulier avec lui, il fallait donc la jouer fine. Demeurer à distance de ce mastodonte semblait être la meilleure option, ainsi, elle pourrait se téléporter au village si elle le désirait. Tout en sachant qu'il pourrait aussi bien la transformer en torche vivante... Oui, entamer un combat contre lui était une idée vraiment cauchemardesque. Séléné hésita encore un moment avant de baisser totalement son arc et décocher la flèche, son arme ne lui servirait à rien de toute manière.

— Et vous ? Que faites-vous ici, au beau milieu de nul part ?

De la diplomatie, voilà ce qu'elle devait utiliser. De la diplomatie afin de ne pas rejoindre les cendres éternelles.

Il était un vagabond, ce qui pouvait être quitte ou double au final. Soit il pouvait être l'un de ceux qui ne s'étaient identifiés à personne, soit être l'un de ceux qui n'acceptaient personne. La première supposition serait la plus facile à gérer. Il tenta ensuite de la rassurer, annonçant qu'il était seul ici. Ce qui n'était pas bien étrange pour les vagabonds, ils devaient bien être les seuls à désirer se balader dans la solitude sur cette île infernale. La rousse relâcha momentanément un peu de pression, décidant de croire à ses paroles. Dans le pire des cas, elle se téléporterait plus loin, comme elle l'avait initialement prévu. Rangeant son arc à flèche, elle haussa un sourcil dans sa direction à son tour. Sa remarque lui fit lever les yeux au ciel et l'agacement prit le dessus. Pourquoi diable les hommes pensaient-ils que les femmes possédaient moins de puissance et moins de talent qu'eux pour la survie. Elle rejeta une mèche de cheveux derrière son épaule et lui jeta un regard courroucé.

— Vous feriez mieux de ne pas me provoquer, je pourrais vous montrer ce qu'une femme seule est capable de faire.

Suite à la mention de Tharion, elle haussa les épaules.

— Nous possédons beaucoup de choses à Tharion, il n'empêche qu'il faut s'en aller refaire les stocks de temps en temps. Et puis j'ai la manie de rendre des services, que voulez-vous.

Le vagabond lui annonça alors qu'ils pouvaient s'entraider. Séléné ne crachait jamais sur un peu d'aide, mais cet homme misogyne ne lui inspirait aucune sympathie. Bon, il fallait bien avouer que la rousse avait du mal avec la socialisation, mais ce n'était pas de sa faute si la majorité des gens ne réfléchissaient pas plus loin que le bout de leur nez. Pesant le pour et le contre, elle finit par soupirer. Avait-elle seulement le choix compte tenu du fait qu'elle ignorait tout de ces montagnes ? Il ajouta également qu'il connaissait la forêt comme sa poche, point qu'elle ne remettait pas en question au vu de sa nature.

— Cela pourrait se faire effectivement. Je suis à la recherche d'une yborne. Une connaissance m'a dit que cette fleur se trouvait au sein des montagnes, connaissez-vous également ces dernières comme votre poche ?

S'il ne connaissait pas les montagnes, elle ne cracherait tout de même pas sur son aide. Elle ignorait quel genre de monstre pouvaient vivre dans les recoins sombres et ne désirait pas du tout faire leur connaissance. Une paire de bras en plus pouvaient changer la donne dans un combat.

— Si vous m'aidez à en trouver une, je vous aiderai à rejoindre Tharion.

À présent, il se justifiait, affirmant qu'il n'avait fait aucune provocation et qu'il avait simplement voulu dire qu'il était idiot d'envoyer quelqu'un seul dans la forêt. Certes, sa remarque n'était pas dénuée de sens, mais voilà qu'il lui proposait de lui montrer toute l'étendue de ses talents. Séléné balaya sa remarque d'un mouvement de main. Elle était peut-être un peu incendiaire lorsqu'elle se voulait, mais elle n'était pas idiote pour autant. Utiliser ainsi ses pouvoirs serait aussi bête qu'inutile et cela l'empêcherait d'être potentiellement efficace si elle en avait réellement besoin. Déjà que ses pouvoirs se montraient capricieux lorsqu'elle était en forme, elle n'osait imaginer ce qu'il se passerait si elle les utilisait lorsqu'elle était fatiguée. Et puis entamer un combat contre une salamandre devait être la pire idée qui existait en ce moment.

Il sauta ensuite sur l'occasion de profiter de sa bonté. Elle se retint de lui dire qu'elle ne rendait service qu'aux gens qu'elle appréciait et qu'il ne faisait assurément pas partie de cette catégorie et attendit la suite. Peut-être qu'ils pourraient se rendre service mutuellement, après tout, il était un vagabond non ? Il devait avoir visité une grande partie de l'île et connaître pas mal de choses. Sa curiosité pointa le bout de son nez, Séléné avait toujours été intriguée par les secrets de l'île et le fait d'en savoir toujours plus sur celle-ci.

La suite la ravit, en effet, l'homme connaissait l'yborne et il acceptait de lui montrer le chemin. Il pointa du doigt une direction et avança sans vraiment lui laisser l'opportunité de réfléchir à tout cela. Mais à quoi bon réfléchir quand elle pouvait saisir la solution à pleine main. Elle ne doutait pas que le trajet serait dangereux et qu'il leur faudrait redoubler de prudence pour ne pas se casser le cou. Ni une, ni deux, elle le suivi donc dans le dédale rocheux qui s'élevait jusqu'au ciel. Le vagabond reprit alors la parole, brisant le silence et la rousse remarqua qu'il était passé au tutoiement. Elle n'y voyait pas d'inconvénient, après tout, ils allaient passer un long moment ensemble.

— Séléné et toi ?

Si elle était prête à s'enfoncer dans les montagnes avec lui, elle ne voyait plus l'intérêt de conserver certaines choses pour elle. Mais ce n'était pas pour autant qu'elle lui offrait une confiance aveugle.

Alors qu'elle le suivait dans le paysage rocheux, il continua la discussion en la complimentant sur son prénom. Il lui évoquait la lune, c'était une manière de penser. Bien qu'elle tienne plus du soleil que de la lune au vu de son apparence. Mais il était vrai que son nom avait des connotations quelque peu célestes. Elle l'observa un moment, grimper comme un petit singe, avec une telle aisance qu'elle se renfrogna. Elle transpirait déjà et son souffle commençait à s'accélérer. Elle n'était pas habituée à escalader des parois rocheuses et avait du mal à positionner ses pieds. Enjambant une énième pierre, elle grimaça en sentant son pied droit glisser un peu et elle se rattrapa de sa main gauche contre la paroi. Elle observa le chemin qu'il continuait d'arpenter et fronça les sourcils.

— Je ne suis pas aussi agile que toi, es-tu certain qu'il s'agit d'un chemin pour une débutante ?

Elle ne tenait vraiment pas à se casser le cou en le suivant dans son périple de l'aventurier. Elle hocha de la tête à la mention de son nom. Thaumel, voilà qui l'aidait à mettre un nom sur son visage.

— De même.

Elle l'observa ensuite se stopper devant un mur de racines. En une gerbe de flammes quitta ses mains pour leur dégager un passage. Séléné s'était toujours demandé comment fonctionnait la magie des élémentaires. Oh, elle avait bien compris que l'élément qu'ils maîtrisaient ne faisaient qu'un avec eux, elle était d'ailleurs parfois jalouse de l'aisance avec laquelle ils utilisaient leurs pouvoirs. Mais elle se demandait également comment il était possible de conserver du feu en soi. C'était bien étrange. Ses propres pouvoirs étaient dangereusement variants. Elle ne pouvait pas savoir quand ils allaient fonctionner et quand ils n'allaient pas fonctionner. Elle comptait donc principalement sur ses capacités physiques, en priant dès qu'elle utilisait ses pouvoirs.

Il reprit ensuite la conversation, lui demandant à quoi lui servirait cette plante. Ne voyant aucun secret là-dedans, elle prit une inspiration avant de répondre.

— Je suis effectivement herboriste. En vérité, je suis la gérante du Belladone, à Tharion. Cette yborne est une commande pour une cliente et comme je n'aime pas envoyer mes employés en dehors du village, c'est moi qui me colle à la tâche de cueillette. Et puis, je n'en ai encore jamais vue, j'aimerais étudier ses propriétés et la manière de s'en servir.

Ils s'arrêtèrent face à un ravin et la rousse pinça les lèvres. Était-ce une blague ? Quelle idée avait-elle eue de s'enfoncer dans cet enfer ? Heureusement que le vagabond la guidait et l'accompagnait. Jamais elle n'aurait su se repérer seule dans ce labyrinthe. Suivant le mouvement de Thaumel, elle se déplaça doucement de profil vers l'endroit où il se trouvait, elle regardait avec attention où elle posait ses pieds, désireuse de ne pas commettre d'impair. Le vagabond lui tendait la main, main qu'elle saisit fermement en rejoignant l'autre côté. Ensuite, elle s'empressa de ramener sa main vers elle, ne supportant pas vraiment d'être touchée par un inconnu, même si c'était pour lui apporter de l'aide. Elle l'observa et marmonna doucement.

— J'espère bien, je ne suis pas Lara Croft.

Le voir sourire l'aida à se détendre et à être un peu plus sociable, après tout, il l'aidait à obtenir ce qu'elle désirait, cela ne lui coûterait rien de se montrer un peu gentille.

— Merci pour ton aide.